Monday, August 08, 2005

Deixar Gaza, per què

Provem d’entendre Sharon, que a vegades costa; però no tant com entendre els qui consideraven els “territoris ocupats” com la clau de tots els problemes del món i ara no aplaudeixen.

Frédéric Encel: Pourquoi Ariel Sharon lâche Gaza
Le Figaro, 08/08/2005.

Le 2 février 2004 à Jérusalem, le premier ministre israélien Ariel Sharon annonçait officiellement son intention de procéder dans de brefs délais à un retrait unilatéral et complet de la bande de Gaza. En Europe, dans leur immense majorité, les observateurs du Moyen-Orient réagirent à cette annonce sans précédent de façon sceptique, voire tout à fait incrédule. Ils en sont aujourd’hui pour leurs frais : en moins de dix-huit mois, le chef du gouvernement hébreu aura tenu sa promesse, sacrifiant sa fragile coalition gouvernementale nationaliste avec succès, surmontant à marche forcée les virulentes oppositions au sein de son propre parti, et obtenant à deux reprises un vote de la Knesset instituant ce retrait civil et militaire, le tout premier d’un territoire palestinien depuis la guerre des Six-Jours de juin 1967.

Quelle mouche a donc piqué Ariel Sharon, si souvent présenté au mieux comme un fanatique du Grand Israël ? Brigue-t-il le prix Nobel dans la foulée de ses compatriotes Begin, Rabin et Pérès ? Craint-il soudain un châtiment divin, ou, plus prosaïquement, des pressions internationales herculéennes jusqu’alors ignorées ? A la vérité, la personnalité trop souvent fantasmée d’«Arik» ne correspond en rien à ces hypothèses. Son plan ne se comprend qu’à l’aune d’une conjonction de trois réalités valant paramètres : un profil personnel, un contexte géopolitique et un objectif précis pour l’Etat d’Israël.

N’en déplaise aux promoteurs d’une vision manichéenne en diable du personnage, Ariel Sharon est un pur produit de la gauche sioniste laïque, celle des pragmatiques années de construction de l’Etat d’Israël. Enfant, il ne participe pas aux activités du réseau sioniste-religieux, et, adolescent, il fréquente un milieu socialisant et non la jeunesse nationaliste du Betar. Jeune officier de Tsahal, son héros sera le premier premier ministre d’Israël et fondateur travailliste de l’Etat, David Ben Gourion – et non le chantre du sionisme nationaliste Vladimir Zeev Jabotinsky, à l’origine lointaine du Likoud. Quant à ce grand parti de la droite israélienne, qu’il dirige effectivement depuis 2000 et à la tête duquel il fut élu en 2001 et réélu en 2003, Sharon ne le rejoint qu’à 45 ans ! Encore n’en devient-il pas de suite un pilier : après le scrutin de 1977, le poste ministériel que le premier ministre Likoud Menahem Begin lui confie est celui de... l’Agriculture. Il faut attendre la réélection de Begin en 1981 pour que le général Sharon obtienne enfin le prestigieux maroquin de la Défense.

A ce poste, qu’il occupe moins de deux ans, il construit certes des implantations mais en démantèle — déjà — d’autres.

Car, lorsqu’en avril 1982, fort de l’approbation de la Knesset (et du soutien de l’opinion publique), Begin ordonne à Sharon d’évacuer manu militari les 4 000 civils israéliens qu’il a lui-même encouragés dans leur démarche «pionnière», il obtempère sans broncher. A-t-il été pris au dépourvu ? Impossible. Dès la signature des accords israélo-égyptiens de Camp David, en octobre 1978, il apparaissait clairement que l’intégralité de la péninsule sinaïtique serait restituée, y compris Yamit et les huit autres implantations établies sous les gouvernements travaillistes Meir et Rabin. Sharon eut donc tout le loisir d’y réfléchir et, le moment venu, de démissionner. A aucun moment il ne menaça seulement de le faire. Autre hypothèse : Gaza serait en Eretz Israel (terre biblique) et non Yamit ? L’argutie ne tient pas : il n’existe au sein des grands rabbinats d’Israël aucune unanimité sur la question.

En fait, la réalité, crue, est la suivante : le Sharon de l’évacuation du Sinaï préfigure dans le pragmatisme le Sharon de l’évacuation de Gaza. Ni plus ni moins «faucon» à l’heure actuelle que naguère, Sharon fait du Clausewitz : peser avantages et inconvénients par-delà ses espérances, accepter bon gré mal gré d’abandonner un élément devenu accessoire (y compris au sens instrumental du terme) au profit d’un objectif primordial, et choisir pour cela le moment idoine. En avril 1982, Sharon assume le sacrifice de Yamit afin d’obtenir la neutralité égyptienne dans l’opération «Paix en Galilée» déclenchée en... juin, soit six semaines à peine après le retrait définitif du Sinaï. Il fallait en effet pouvoir porter au nord les divisions blindées afin de briser l’infrastructure du Fatahland (Etat-OLP) au Liban, sans craindre un retour d’instabilité militaire au sud, à la frontière égyptienne. Telle fut réellement sa variable principale de prise de décision d’assumer l’évacuation forcée de Yamit. Homme d’Etat typiquement wéberien en ce qu’il distingue «l’éthique de conviction» de «l’éthique de responsabilité», Sharon, plutôt qu’adepte borné du Grand Israël, recherche constamment le plus grand Israël possible. Fondamentale, la distinction explique largement le plan de retrait de Gaza (et de quatre implantations cisjordaniennes isolées) conçu et mené hors de toute pression américaine, et établit l’incontournable lien avec l’évacuation intégrale du Sinaï en 1982. Se pose toutefois la question cruciale du moment : pourquoi maintenant ? Comme en 1982, un contexte géopolitique bien spécifique l’aura convaincu d’agir fortement et à front renversé. En premier lieu, le rapport de forces avec l’environnement arabe en général et l’Autorité palestinienne en particulier n’a jamais été aussi favorable : maintien de la paix avec les voisins arabes égyptien et jordanien en dépit de l’intifada, échec manifeste de celle-ci (de l’aveu même de Mahmoud Abbas), chute du nombre d’attentats grâce à la «barrière de sécurité», forte reprise économique, et, à partir de la fin 2004, mort naturelle d’Arafat et perte d’influence de la Syrie.

En second lieu, jamais un gouvernement israélien et a fortiori une équipe majoritairement nationaliste n’a bénéficié du soutien si massif d’une Administration américaine. George W. Bush offrira ainsi le 14 avril 2004 trois garanties sans précédent en contrepartie du retrait israélien : 1- Rejet du «retour» sur le sol israélien des quatre millions de réfugiés et descendants de réfugiés palestiniens de la guerre de 1948. 2- Non-retour d’Israël aux frontières du 4 juin 1967 (dite «ligne verte»).. 3- Prise en considération de l’évolution démographique intervenue depuis 1967 en Cisjordanie (autrement dit des 250 000 juifs implantés depuis). Ces garanties, approuvées par le Sénat, sont au coeur de la stratégie de Sharon, et illustrent son objectif : annexer in fine quelques zones certes modestes (moins de 10% de la Cisjordanie, soit environ 500 km2), mais stratégiquement (Ariel, Givat Zeev), démographiquement (Maalé Adoumim) et historiquement (Goush Etzion) admises comme fondamentales. Dans cet esprit, Gaza, avec son rapport démographique intenable (1,3 million de Palestiniens, soit un tiers de la population palestinienne globale des Territoires, face à 8 000 Israéliens), son absence totale de ressources naturelles, son intérêt stratégique médiocre, sa charge religieuse assez faible, et, enfin, son contrôle aux coûts humains et économiques exorbitants, ne pouvait qu’être logiquement le premier des sacrifices territoriaux.

A cet égard, la vision géopolitique de Sharon se distingue tout à fait de celle de son ami et rival politique Shimon Pérès. Il pense que chaque kilomètre carré de terre doit se négocier âprement, moins pour sa valeur biblique que par la nécessité d’accueillir encore au moins un million de juifs (d’où les zones des blocs d’implantations à conserver), que mieux vaut camper dans la posture du bastion que de rêver à un Eden utopique, qu’il faut tisser des partenariats de revers avec de lointains géants anciennement hostiles (Russie, Chine, Inde) plutôt que de chercher à s’intégrer dans un hostile et improductif environnement arabe. Or la vision contraire de Pérès a échoué. A part en rotation ou par intérim, l’actuel n° 2 du gouvernement d’unité nationale ne fut jamais premier ministre. Les discours lénifiants sur le sens de l’Histoire, le grand marché commun proche-oriental ou la paix abrahamique ne font plus recette en Israël, et ne l’ont jamais fait chez ses voisins arabes. C’est à travers la grille de lecture de Sharon qu’il faut penser ses objectifs lorsqu’il cède Gaza.

En face, le président palestinien Mahmoud Abbas, courageusement, a décidé d’en finir avec les rêves chimériques de destruction de l’«entité sioniste», et tente de préparer au mieux la transition vers l’indépendance qui s’amorce. Comme Sadate jadis, mais, a contrario d’Assad ou d’Arafat, il a compris qu’une rhétorique flamboyante, le soutien de (faux) frères arabes ou l’usage de la violence aveugle ne permettraient pas de vaincre.

A terme, entre l’Etat d’Israël et celui de Palestine — dont Sharon évoqua lui-même l’avènement dès 2002 — courra une frontière. De part et d’autre de cette limitation de souveraineté traditionnelle consacrant un fossé de représentations identitaires abyssal, on ne s’aimera guère. Marquée au sol, elle matérialisera une paix froide, ce type de paix honteuse dont on se défie sur les rives de la Seine mais qui confère de la dignité et préserve infiniment plus de vies humaines, à l’image de la paix froide israélo-égyptienne de 1979, que l’inepte «guimauve adolescente» des années d’Oslo. Cette frontière nationale constituera le meilleur garant de la sécurité des deux peuples souverains, et rappellera que de «mauvaises paix valent mieux que de bonnes guerres».

En définitive, ni sursaut de candeur chez ce général de 77 ans ni volonté soudaine de se voir nobéliser : chez le stratège Sharon, le retrait unilatéral de Gaza est frappé au coin de strictes considérations géopolitiques. A tort, on le tient ici pour généreux, là pour machiavélique : il n’illustre en définitive que la maxime napoléonienne selon laquelle «les Etats font la politique de leur géographie».


* Docteur en géopolitique et consultant, spécialiste du Moyen-Orient, l’auteur est professeur à l’ESG et enseigne les relations internationales à Sciences po (prépa ENA). Il vient de publier avec François Thual Géopolitique d’Israël, Seuil, 2005.

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