No a la UE :: No a una UE a la francesa
Impagable diatriba contra les mentides constitucionals de la Unió Europea.
Chantal Delsol: Pour l’honneur des imbéciles
Le Figaro, 31/03/2005.
Vous me demandez quelle Europe je veux ? C’est risqué. On accepte bien un référendum, mais à condition que tous veuillent l’Europe et que tous veuillent la même Europe. C’est la nouvelle manière démocratique, à la façon Tocqueville quand il prophétise les perversions démocratiques.
Je voudrais une Europe qui n’ait pas peur de son ombre. Où est son ombre ? Dans son passé, qui la suit et l’habite comme il habite toute chose humaine, mais dont elle aimerait se débarrasser : l’Europe rêve de ressembler à ce héros qui avait perdu son ombre, et marchait sur le vide vertigineux de son absence de définition. L’Europe a des caractéristiques. Elle est grecque et romaine, elle est chrétienne, elle est moderne. Tout cela forme un monde. L’Europe n’est pas ce personnage sans qualité qu’elle croit être, elle n’est pas l’universel en marche auquel toutes les cultures devraient s’identifier. Elle porte sa particularité, elle aussi, c’est une gloire et une croix, elle est incarnée, donc pesante, donc tentée par les conflits. Elle n’est pas, comme l’a dit un de nos gouvernants, «aussi musulmane que chrétienne», rhétorique nauséeuse où l’on veut nous faire croire que nous ne serions, finalement, rien. Une Europe qui craint de se nommer ne m’intéresse pas. L’anonyme c’est le bandit caché, la bête qui fait l’ange, l’imposteur. Seul Dieu peut conserver l’anonymat sans s’y perdre. L’Europe n’est pas un dieu. Mais un groupe de peuples liés par un destin qui se décrit.
Je voudrais une Europe qui accepte sa propre diversité : nous en sommes loin. On brandit ce souhait comme une incantation : la diversité est à la mode à condition qu’elle reste folklorique et sans poids, le bon mot d’un enfant. On fait le contraire depuis si longtemps. Il n’est pas normal que dans un ensemble démocratique, les lois communes soient si nombreuses et prennent de plus en plus de place. Le principe de subsidiarité a été brandi à l’envi, pour faire chic, mais il ne peut être appliqué, pour une raison simple : il a été, aussitôt saisi par les instances européennes, transformé en principe d’efficacité, c’est-à-dire en un principe jacobin, donc retourné en son contraire.
Tous les textes nous disent qu’une autorité supérieure doit intervenir si elle se trouve plus compétente et plus capable. La subsidiarité réclame que l’autorité supérieure intervienne dans le seul cas où l’autorité inférieure est insuffisante. Dans un ensemble décentralisé, c’est-à-dire vraiment démocratique, l’autonomie de chaque groupe compte comme valeur immatérielle, même s’il est moins bien gouverné par lui-même que par un corps d’experts venus de plus haut.
L’Europe n’a pas compris cela. Elle tente d’établir de l’Atlantique à la Baltique une vaste république à la française, caractérisée par son centralisme et son opacité. A ce prix, je préfère que la France soit seule à conserver ce système irréel et inefficace —dont elle se débarrassera quand elle en aura épuisé les délices et les poisons—, mais qu’elle n’aille pas l’imposer aux autres.
Je voudrais une Europe tolérante. Ah ! la belle banalité. Quel mot éculé, qui traîne après lui la poussière des siècles et ne dit plus rien que d’évident à nos oreilles lasses. Pas si évident, pourtant. Et même de moins en moins. Une Europe tolérante serait celle qui se mettrait elle-même en jeu et en cause, caractéristique de l’esprit libre. A l’inverse, elle s’impose avec la certitude d’un théorème mathématique.
La campagne électorale présente rappelle sur ce point l’atmosphère de celle de Maastricht : votez oui, sinon vous êtes des demeurés, des imbéciles sans cerveau. J’ai entendu, a dit récemment notre président de la république avec un étonnement douloureux, que certains voulaient voter non... eh oui, monsieur le Président, cela s’appelle le pluralisme et, d’un point de vue institutionnel, cela s’appelle la démocratie. Cela signifie que les réponses aux questions qui se posent n’appellent pas des vérités certaines, mais des opinions, qui sans doute ne se valent pas, mais on le sait rarement au moment même. Voilà pourquoi on tolère la diversité des points de vue. Votez oui, sinon ce sera l’apocalypse. Alors pourquoi organiser un vote ? Pour la parade ? Pour la bonne conscience ?
A dire vrai j’en ai assez de voir ceux qui ne pensent pas comme-il-faut-penser être jugés comme des crétins des Alpes, et jusqu’aux Carpates. L’habitude est très française de considérer le peuple comme une masse de débiles légers : voyez comment on nous apprend qu’un inspecteur des impôts a jeté par hasard à la poubelle les dossiers de plusieurs personnalités politiques parmi les plus prestigieuses. Mais je n’ai pas envie que cette coutume se répande chez les autres, qui ont encore des habitudes plus saines. Je ne veux pas d’une Europe où celui qui voit l’homosexualité comme un péché est immédiatement ostracisé après un passage à tabac verbal. Finalement, comme dans certains régimes pas recommandables, ici le non-conformisme est une maladie mentale. Je suis effarée de voir de quelle manière on nous balade à propos de la Turquie, promettant des référendums pour dans mille ans, quand on aura eu le temps de tout boucler pour devancer les réticences de peuples ignares et ploucs.
Il y en a qui font des pétitions au nom des intelligents —ce qui justement confirme mon propos—. Je parle au nom des imbéciles, je suis l’un d’eux, et, en ayant assez de voir mon opinion traitée comme un symptôme psychiatrique dans un continent qui en même temps se prétend démocrate, je voterai non au référendum. Ce sera la première fois dans ma vie, car j’aime l’Europe d’un grand amour déçu, mais pas désespéré. Cela ferait reculer l’Europe que de voter non ? Et alors ?
Je ne souhaite pas avancer vers le despotisme éclairé, qui n’a jamais éclairé personne —Jacques Delors lui-même a déclaré, dans un discours à Strasbourg, que l’Europe s’avançait vers le despotisme éclairé, et je ne fais que citer son expression—. Les imbéciles me paraissent un peu trop nombreux. C’est louche. Comme les Indiens, dont on croyait qu’ils n’avaient pas d’âme, eux aussi ont peut-être un esprit. En tout cas ils doivent bien avoir un honneur. Cela ne fait défaut à personne. Et c’est assez pour qu’ils puissent s’exprimer.
Chantal Delsol: Pour l’honneur des imbéciles
Le Figaro, 31/03/2005.
Vous me demandez quelle Europe je veux ? C’est risqué. On accepte bien un référendum, mais à condition que tous veuillent l’Europe et que tous veuillent la même Europe. C’est la nouvelle manière démocratique, à la façon Tocqueville quand il prophétise les perversions démocratiques.
Je voudrais une Europe qui n’ait pas peur de son ombre. Où est son ombre ? Dans son passé, qui la suit et l’habite comme il habite toute chose humaine, mais dont elle aimerait se débarrasser : l’Europe rêve de ressembler à ce héros qui avait perdu son ombre, et marchait sur le vide vertigineux de son absence de définition. L’Europe a des caractéristiques. Elle est grecque et romaine, elle est chrétienne, elle est moderne. Tout cela forme un monde. L’Europe n’est pas ce personnage sans qualité qu’elle croit être, elle n’est pas l’universel en marche auquel toutes les cultures devraient s’identifier. Elle porte sa particularité, elle aussi, c’est une gloire et une croix, elle est incarnée, donc pesante, donc tentée par les conflits. Elle n’est pas, comme l’a dit un de nos gouvernants, «aussi musulmane que chrétienne», rhétorique nauséeuse où l’on veut nous faire croire que nous ne serions, finalement, rien. Une Europe qui craint de se nommer ne m’intéresse pas. L’anonyme c’est le bandit caché, la bête qui fait l’ange, l’imposteur. Seul Dieu peut conserver l’anonymat sans s’y perdre. L’Europe n’est pas un dieu. Mais un groupe de peuples liés par un destin qui se décrit.
Je voudrais une Europe qui accepte sa propre diversité : nous en sommes loin. On brandit ce souhait comme une incantation : la diversité est à la mode à condition qu’elle reste folklorique et sans poids, le bon mot d’un enfant. On fait le contraire depuis si longtemps. Il n’est pas normal que dans un ensemble démocratique, les lois communes soient si nombreuses et prennent de plus en plus de place. Le principe de subsidiarité a été brandi à l’envi, pour faire chic, mais il ne peut être appliqué, pour une raison simple : il a été, aussitôt saisi par les instances européennes, transformé en principe d’efficacité, c’est-à-dire en un principe jacobin, donc retourné en son contraire.
Tous les textes nous disent qu’une autorité supérieure doit intervenir si elle se trouve plus compétente et plus capable. La subsidiarité réclame que l’autorité supérieure intervienne dans le seul cas où l’autorité inférieure est insuffisante. Dans un ensemble décentralisé, c’est-à-dire vraiment démocratique, l’autonomie de chaque groupe compte comme valeur immatérielle, même s’il est moins bien gouverné par lui-même que par un corps d’experts venus de plus haut.
L’Europe n’a pas compris cela. Elle tente d’établir de l’Atlantique à la Baltique une vaste république à la française, caractérisée par son centralisme et son opacité. A ce prix, je préfère que la France soit seule à conserver ce système irréel et inefficace —dont elle se débarrassera quand elle en aura épuisé les délices et les poisons—, mais qu’elle n’aille pas l’imposer aux autres.
Je voudrais une Europe tolérante. Ah ! la belle banalité. Quel mot éculé, qui traîne après lui la poussière des siècles et ne dit plus rien que d’évident à nos oreilles lasses. Pas si évident, pourtant. Et même de moins en moins. Une Europe tolérante serait celle qui se mettrait elle-même en jeu et en cause, caractéristique de l’esprit libre. A l’inverse, elle s’impose avec la certitude d’un théorème mathématique.
La campagne électorale présente rappelle sur ce point l’atmosphère de celle de Maastricht : votez oui, sinon vous êtes des demeurés, des imbéciles sans cerveau. J’ai entendu, a dit récemment notre président de la république avec un étonnement douloureux, que certains voulaient voter non... eh oui, monsieur le Président, cela s’appelle le pluralisme et, d’un point de vue institutionnel, cela s’appelle la démocratie. Cela signifie que les réponses aux questions qui se posent n’appellent pas des vérités certaines, mais des opinions, qui sans doute ne se valent pas, mais on le sait rarement au moment même. Voilà pourquoi on tolère la diversité des points de vue. Votez oui, sinon ce sera l’apocalypse. Alors pourquoi organiser un vote ? Pour la parade ? Pour la bonne conscience ?
A dire vrai j’en ai assez de voir ceux qui ne pensent pas comme-il-faut-penser être jugés comme des crétins des Alpes, et jusqu’aux Carpates. L’habitude est très française de considérer le peuple comme une masse de débiles légers : voyez comment on nous apprend qu’un inspecteur des impôts a jeté par hasard à la poubelle les dossiers de plusieurs personnalités politiques parmi les plus prestigieuses. Mais je n’ai pas envie que cette coutume se répande chez les autres, qui ont encore des habitudes plus saines. Je ne veux pas d’une Europe où celui qui voit l’homosexualité comme un péché est immédiatement ostracisé après un passage à tabac verbal. Finalement, comme dans certains régimes pas recommandables, ici le non-conformisme est une maladie mentale. Je suis effarée de voir de quelle manière on nous balade à propos de la Turquie, promettant des référendums pour dans mille ans, quand on aura eu le temps de tout boucler pour devancer les réticences de peuples ignares et ploucs.
Il y en a qui font des pétitions au nom des intelligents —ce qui justement confirme mon propos—. Je parle au nom des imbéciles, je suis l’un d’eux, et, en ayant assez de voir mon opinion traitée comme un symptôme psychiatrique dans un continent qui en même temps se prétend démocrate, je voterai non au référendum. Ce sera la première fois dans ma vie, car j’aime l’Europe d’un grand amour déçu, mais pas désespéré. Cela ferait reculer l’Europe que de voter non ? Et alors ?
Je ne souhaite pas avancer vers le despotisme éclairé, qui n’a jamais éclairé personne —Jacques Delors lui-même a déclaré, dans un discours à Strasbourg, que l’Europe s’avançait vers le despotisme éclairé, et je ne fais que citer son expression—. Les imbéciles me paraissent un peu trop nombreux. C’est louche. Comme les Indiens, dont on croyait qu’ils n’avaient pas d’âme, eux aussi ont peut-être un esprit. En tout cas ils doivent bien avoir un honneur. Cela ne fait défaut à personne. Et c’est assez pour qu’ils puissent s’exprimer.
Chantal Delsol: Philosophe, professeur à l’université de Marne-la-Vallée. Dernier ouvrage paru, Matin rouge (Presses de la Renaissance).
0 Comments:
Post a Comment
<< Home